Agé de 75 ans, Pangassi Abdias Coulibaly est le Chef de Bagala, un village de la commune de Nouna déguerpi en 2023, puis président d’honneur du Mouvement sauvons la Kossi. Il s’agit d’une structure créée le 7 février 2024 pour contribuer à bouter le terrorisme hors de la province. Réputé pour son franc-parler, son immense expérience dans la vie associative et culturelle, il est de nos jours considéré comme l’un des grands sages de la Kossi. Il nous a accordé une interview le 16 février 2024. Au cours de cet entretien, il a décrit la situation sécuritaire actuelle dans la Kossi, fait le point des initiatives entreprises par lui et son mouvement puis proposé des solutions en faveur de la libération de la province. Sa confiance inconditionnelle au Capitaine Ibrahim Traoré et sa conviction quant à la possibilité d’un dénouement rapide du terrorisme au Burkina ont également été évoquées. Sa plus grande joie serait que le président de la Transition lise cet article.
Parlez nous de la situation sécuritaire dans la Kossi
La situation sécuritaire est pire dans la Kossi. Vraiment ça ne va pas dans notre province. Toute la zone est quasiment sous le contrôle des groupes armés terroristes qui nous endeuillent et nous chassent de nos villages. La commune de Kombori à la frontière malienne n’existe plus depuis 2017 car tous les villages ont été déguerpis. C’est aussi le cas pour celle de Bourasso située entre Dedouggou et Nouna. Je me rappelle toujours du massacre des populations de cette commune le 3 juillet 2022 où une vingtaine d’habitants ont été tués, entrainant le déguerpissement de la localité. Le cas de Doumbala est récent. C’est en fin janvier 2024 que les forces du Mal ont vidé la commune. Bomborokuy, Dokuy, Sono, Djibasso, Madouba et Barani sont des communes restées sur place mais sous blocus avec la majorité des villages qui ont été déguerpis. Quant à Nouna, chef-lieu de la province, le blocus est total. Il est très difficile de sortir à 5 kilomètres de la ville. Pour preuve, au moins une dizaine de villages situés à moins de 10 kilomètres de Nouna ont été déguerpis par les terroristes. Le dernier à avoir été vidé le 14 février 2024, c’est Babekolon distant seulement de 4 kilomètres. Je n’ai pas le moral pour faire le point des pertes en vies humaines. Mais, les milliers de personnes déplacées vivent dans la misère car l’aide alimentaire est insignifiante. Il y a surtout l’arrêt des activités socioé-conomiques dont l’agriculture. La Kossi paye donc un lourd tribut depuis le début de l’hydre terroriste dans notre pays.
Comment avez-vous vécu le déguerpissement de votre village ?
Mon village Bagala est situé à 15 kilomètres au sud de Nouna. Nous avons été chassés par les terroristes le 22 mai 2023. C’est la plus grande tristesse de ma vie. Avant de déguerpir le village, ils nous ont sommés de ne pas collaborer avec les FDS et de ne pas accepter que les jeunes rejoignent le rang des VDP. Comme nous n’avons pas obéi, ils sont venus encerclé le village quelques jours plus tard. Certains d’entre eux ont alors rassemblé les habitants pour leur dire quitter. Ils étaient stricts quant à notre destination. C’était de rejoindre toute autre localité sauf Nouna. Leurs raisons étaient que tôt ou tard, ils vont marché sur cette ville. Néanmoins, la majorité des populations de Bagala ont rejoint Nouna sans pouvoir emporter des vivres et autres materiels. C’est ainsi que je suis installé ici avec ma famille. Mais chaque jour, je me bats pour que l’on retourne chez nous pour exploiter nos vastes et riches terres.
Selon vous, qu’est-ce qui rend difficile le cas de la Kossi malgré les multiples efforts des autorités et des FDS ?
Il n’y a pas de langage de vérité ici. C’est le véritable problème. Il y a eu un moment où les FDS et les VDP avaient pris l’ascendance sur les terroristes. Ils patrouillaient dans plusieurs zones de la province à la recherche des ennemis. C’était à un moment où l’on avait à peine 1 500 VDP et qui étaient de surcroît sous armés dans la commune de Nouna. Mais les lignes bougeaient. Maintenant qu’on a un grand nombre de VDP, un camp militaire et un renforcement des rangs des gendarmes, les terroristes rôdent autour de la ville. C’est incompréhensible. On se demande qu’est-ce qui empêche nos combattants de sortir pour les affronter. Je ne suis pas dans le secret militaire mais quelque chose ne va pas. L’autre principale difficulté, c’est la complicité interne. Il y a trop de complices qui livrent les informations aux terroristes. L’on m’a même fait comprendre que le moindre mouvement de nos combattants est signalé à ces assaillants.
Quels sont les actions que vous avez menées pour contribuer à la lutte ?
Depuis que je suis installé à Nouna après le déguerpissement de mon village, j’ai entrepris des démarches pour notre retour. J’ai fait des propositions concrètes aux autorités provinciales pour cela. Touché par la dégradation de la situation de jour en jour, j’ai contribué à créer le Mouvement sauvons la Kossi en début février 2024. Notre structure a pour objectif de contribuer pleinement au retour de la paix dans notre province. C’est ainsi que nous avons réuni les leaders des différents villages, les responsables des différents secteurs d’activités et les leaders communautaires le 10 février. Cela a permis de faire le point de toutes les préoccupations et surtout de faire des propositions en faveur de la sortie de crise. Toutes les idées recueillies à cet effet ont été transmises aux autorités. De plus, nous avons organisé une grande marche le 15 février 2024. Là, il était question d’exprimer notre mécontentement et d’interpeller les dirigeants à prendre des mesures fortes pour sauver la Kossi. Nous avons surtout partagé avec les populations les messages d’union et d’engagement à jouer leur partition dans la lutte en collaborant et en soutenant nos forces combattantes. À la faveur de cette marche, nous avons également pu rencontrer les autorités militaires de la province. Cette opportunité nous a permis de demander des réponses à nos préoccupations et de partager nos propositions de solutions avec elles. Voilà déjà quelques actions que nous avons pu mener et nous sommes bien plus déterminés à nous impliquer davantage dans la lutte.
Quelles sont vos propositions pour améliorer la situation dans la Kossi ?
La seule solution, c’est d’armer les populations. Heureusement, ces dernières ont compris l’enjeu de cette guerre et sont prêtes à prendre les armes pour s’auto-défendre. Cependant, les autorités doivent nous aider dans la formation et l’armement. Il faut obligatoirement donner les moyens aux populations déplacées de retourner dans leur villages pour cultiver sinon, la misère va nous faire plus de mal que les terroristes. De nos jours, Nouna abrite des milliers de déplacés internes. Il faut donc craindre une crise alimentaire. Ce que je propose concrètement, c’est de créer un site hors de Nouna où toutes ces personnes pourront cultiver pour se nourrir en attendant de pouvoir retourner dans leurs villages. Pour cela, je propose mon village Bagala pour les accueillir. L’idée est que les autorités forment, arment et installent tous les déplacés dans ce village. Nous avons plus 50 000 hectares de terres propices à la culture. Il y a aussi l’eau pour les cultures de contre-saison car le village est traversé par un puissant affluent du fleuve Mouhoun. Ces terres, nous sommes disposés à les parceler au profit des déplacés de tous les autres villages de la commune qui pourront s’auto-proteger et produire pour se nourrir. Cela permettra de désengorger Nouna et d’éviter la crise alimentaire. Après cette étape, l’on pourrait petit à petit entreprendre le même processus au fur et à mesure pour les autres villages déguerpis. Si j’ai l’occasion de parler au Président Ibrahim Traoré, c’est ce que je lui dirais. Car, cette guerre doit être populaire. Il suffit de former et de donner les armes aux populations. On ne demande même pas une prise en charge comme c’est le cas du système des volontaires. Nous voulons seulement être accompagnés dans l’organisation. Si les autorités accèdent à cette requête, nous allons pouvoir produire à la prochaine saison pluvieuse pour nous nourrir et même approvisionner avec le surplus les autres localités du Burkina qui sont moins prospères en matière d’agriculture. J’en fais le serment au président Ibrahim Traoré.
Parlant du président Ibrahim Traoré, que pensez vous de sa gestion des affaires ?
Il est incontestablement sur la bonne voie. Je suis l’un de ses plus grands admirateurs. Il incarne la détermination et l’honnêteté. Je partage entièrement sa vision pour notre pays. D’abord, pour la lutte contre le terrorisme, le président Ibrahim Traoré a su prendre les choses au sérieux. Son dévouement à endiguer la crise est palpable puis les stratégies et les moyens développés à cet effet sont convainquants. Ensuite, il y a cette souveraineté nationale que le président Ibrahim Traoré travaille à redonner à notre pays. À ce niveau, je pense que tout Burkinabè et tout panafricain doit le soutenir. Nous avons longtemps aspiré à l’indépendance réelle et lui, en quelques mois de gouvernance, a placé la barre haute. A ce niveau, je dirai que c’est l’oeuvre du capitaine Thomas Sankara qu’il est en train d’acheter et j’en suis tellement fier. J’avoue que nous devons et pouvons nous sortir de la domination impérialiste. C’est le seul moyen d’être digne et de penser notre développement en notre façon au lieu de nous laisser toujours pillés par les impérialistes occidentaux. Enfin, je le dis haut et fort, le Burkinabè a perdu son intégrité au regard de la corruption, le goût du gain facile, le manque de langage de vérité et l’égoïsme chronique qui font d’ailleurs partie des causes de cette crise que nous traversons. Bref, je crois au président Ibrahim Traoré et le soutiens de façon inconditionnelle. À défaut de pouvoir le rencontrer, je serai très heureux qu’il lise cet article.
Pour terminer, j’adresse mes encouragements aux responsables et à tous les acteurs de L’Observateur Paalga qui est un journal resté crédible et qui est au côté de la masse. J’adresse mes encouragements aux autorités de la Transition car il n’est pas simple de diriger une nation de surcroît en crise. J’invite toute la population de la Kossi à s’impliquer dans la lutte contre l’insécurité. Aux Burkinabè en général, je demande de faire table rase des divergences pour s’unir car nous n’avons qu’un seul pays et la priorité c’est de le sortir de cette crise qui n’a fait que trop durer. J’ai de l’espoir quant à un dénouement plus ou moins rapide du terrorisme dans notre cher Faso. Pour cela, chacun doit jouer sa partition. Je vous remercie.
Observateur Paalga du 21 février 2024